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Heartless Crow with Brittle Beak

29 novembre 2010

Holden : premier

Je sens le souffle chaud d'Arthur sur ma nuque. Je garde les yeux fermés un moment, puis je les ouvre. Au début je ne vois rien parce que la chambre est pleine de pénombre. Par la suite, je parviens à distinguer la table de chevet. Elle est juste à côté du lit. Je lève ma main, et je la pose sur la lampe en forme de tortue qui se trouve sur le bureau. La mosaïque colorée de sa carapace est toujours chaude. Je retire ma main, rassuré, et je me recouche quelques minutes. L'ampoule ne doit pas être morte depuis bien longtemps. Je suis soulagé et je frissonne.

Arthur bouge un peu et passe son bras autour de moi. Il agrippe ma taille et me serre contre lui. Je le laisse faire et je ferme les yeux. Il respire fort à mon oreille mais je reste immobile, de peur de le réveiller. J'attends encore un peu qu'il se rendorme profondément et je repousse son corps. Je me redresse et je m'assieds sur le bord du lit. Ma tête tourne encore un peu à cause de l'alcool, mais je n'ai pas de nausées. Je penche mon corps vers l'avant, j'avance une main et je tâte le sol à la recherche de vêtements. J'attrape un caleçon au hasard. Je prends aussi une chemise et je me lève. Je sors de la chambre.

Je suis le couloir. Je descends les escaliers. Je suis un deuxième couloir. Je tourne au coude et je débouche dans la cuisine. Sur le comptoir et sur la table trainent des bouteilles vides et un jeu de cartes. Je me dirige vers l'évier et j'ouvre le robinet d'eau froide. J'attends un peu que l'eau devienne froide pour de vrai et j'y plonge mes mains. Je me nettoie rapidement le visage en regardant par la fenêtre juste devant moi. Dehors, je vois un autre édifice ressemblant au nôtre enveloppé dans les ténèbres. Je ferme le robinet d'eau froide et j'essuie mes mains sur la chemise que j'ai enfilé.

Je me tourne vers la table. Il reste un fond de whisky dans un verre carré et un cendrier déborde de mégots.

Je commence par ramasser les corps-morts. J'ouvre la porte du balcon pour aérer l'appartement, et je dépose les caisses de bières vides dehors. Je laisse la porte entrouverte, et je retourne à la cuisine en ignorant le salon pour l'instant.

Je vide le cendrier dans la poubelle, je vide le verre de scotch dans l'évier. Je rince le verre et le place dans le lave-vaisselle. Je rince aussi le cendrier que je me contente d'empiler sur un autre cendrier sale qui traine au coin de l'évier. Je mouille mes mains parce que la cendre colle et empeste mes doigts.

Je vais vers la table et je réunis les cartes à jouer en un seul paquet. Je range le paquet dans le premier tiroir du comptoir, où se trouvent aussi les tire-bouchons et les décapsuleurs. Je referme le tiroir, et je retourne vers l'évier. Je prends une guenille. Je la mouille. Je passe le linge sur le comptoir, nettoie les taches de café brunes ou les traces de dessous de bouteilles. Je frotte plus fort à certains endroits pour éliminer toutes les saletés. Je nettoie aussi la cuisinière. Je contourne les vieux éléments en fer. Je frotte un peu jusqu'à ce que la surface soit propre en apparence. Quand j'ai terminé, je vais faire la même chose sur la table. Je capture les cendres et je frotte lorsque c'est collant d'alcool.

Je vais rincer ma guenille. Je la pose sur le coin de l'évier, proche des cendriers empilés et je tire une chaise de sous la table pour m'asseoir. Je pose mes coudes sur la table humide et je prends ma tête entre mes mains. Mes doigts tremblent. Je ne sens presque pas leur extrémité. Mes phalanges sont glaciales.

Le salon est toujours dans le même état qu'hier alors je ne reste pas trop longtemps assis. Je me lève, j'essuie mes coudes sur ma chemise et je me dirige vers le salon.

Ici c'est pareil. Des bouteilles vides -ou presque- trainent sur la table, ou par terre autour. Une carte solitaire sert de sous-verre. Je peste.

Je retourne dans la cuisine et j'ouvre le tiroir. Je sors le paquet de cartes et vais chercher la carte manquante au salon. J'ouvre le paquet, insère le roi de pique gondolé et je referme le paquet. Je retourne à la cuisine, je remets le paquet de carte dans le tiroir avec les décapsuleurs, et je referme le tiroir.

Je retourne au salon pour reprendre où j'en étais.

Je prends la bouteille de whisky vide et les autres bouteilles de bière. Celles qui ne sont pas complètement vides je vais les vider dans l'évier de la cuisine. Je me dirige vers le balcon et je les dépose dehors, avec les autres caisses. La bouteille de whisky rejoint les autres bouteilles d'alcool fort dans un coin du salon pour compléter la collection d'Arthur.

Sur la table trainent aussi deux grammes. Je n'y touche pas pour l'instant, et je me dirige vers la cuisine. Je reste debout quelques instants, et j'attends. Je fixe l'horloge du micro-onde. Elle me répond qu'il est quatre heures moins le quart. Quatre heures moins dix. Je retourne au salon et je ferme la télévision muette. Je réunis les télécommandes que je pose sur le sol et je replace la table basse à sa place habituelle, au centre de la pièce. Sous la table traine la reine de cœur. Je jure. Je la prends et je la déchire. J'ouvre la porte du balcon, fais quelques pas, et je jette les morceaux par-dessus le garde. Je les regarde tomber. Cinq centimètres par seconde. Je rentre, et je referme complètement la porte derrière moi.

J'approche du fauteuil d'Arthur. Kaiser dort devant et ne se dérange pas pour moi. Je passe à côté de lui, ramasse un cendrier posé tout près, et le pose sur la table basse. Je ramasse aussi un autre verre à whisky vide. Je le pose à côté du cendrier, sur la table basse, et je retourne dans la cuisine. Je prends la guenille humide sur le coin de l'évier, et je retourne dans le salon pour nettoyer la table. Je soulève le cendrier et je nettoie dessous. Je soulève le verre vide et je nettoie dessous. Je les replace à leur place, et je continue le reste de la table. Je contourne les deux grammes. Je prends les télécommandes qui sont par terre et je les remets verticalement sur la table, le plus parallèlement possible.

Je retourne porter la guenille à la cuisine et je la dépose à sa place après l'avoir rincée.

Dans le salon, je prends les coussins, les secoue et les replace à leur place. Je déplace le fauteuil d'Arthur de quelques centimètres, et je le tourne de quelques degrés.

Je lève la tête vers la porte patio. Dehors, tout en bas, il n'y a personne dans les rues. Je colle mon nez et mon front contre la vitre froide et je regarde plus loin. Il n'y a personne non plus dans les parcs de la ville.

Je reste comme ça, sans bouger durant quelques minutes.

Kaiser se lève et s'approche de moi. Il se dresse sur ses pattes arrière et tente de monter sur moi. Je le repousse lentement et lui caresse sa grosse tête.

Je retourne à la cuisine et il me suit. Je passe à côté des deux grammes que j'ignore et je lève la tête vers le micro-onde. Il me répond qu'il est maintenant quatre heures trente-trois. Kaiser attire mon attention. Il lèche le fond de sa gamelle vide. Le bol racle le sol désagréablement, suit les mouvements de son museau. Je jure et me dirige vers l'armoire. Je sors un sac de nourriture pour Kaiser. Je verse les croquettes dans son bol maladroitement. Il s'empresse de dévorer tout ce qui déborde. Je retourne vers l'armoire, je range le sac, et je referme l'armoire.

Je me retourne et inspecte la cuisine. Elle semble assez propre. Je vais au salon. C'est pareil. Sauf pour les grammes qui trainent toujours.

Je m'approche de la table basse et je prends le miroir. Avec la carte platine d'Arthur posée à côté, je réunis les lignes pour reformer un seul et unique tas.

Mes mains tremblent d'elles-mêmes.

Je reste immobile à fixer le miroir. À fixer le tas, la paille qui roule légèrement de gauche à droite. Je regarde le miroir. Mes mains continuent de trembler. Je fais quelques pas vers le meuble de la télévision, où je dois ranger le miroir. J'avance sans quitter mon regard du miroir, où se reflète mon visage. Je vois mes yeux vides. Je croise mon regard vide et noir.

Une larme s'écrase sur la glace. J'écarquille les yeux de surprise. Je porte un doigt à mon œil. J'essuie mon œil, j'étire ma paupière. Je frotte mon œil avec mon doigt.

Quelque chose ne tourne pas rond.

Je tremble soudainement davantage et une autre larme s'écrase sur la glace. Je serre le miroir dans ma main et je plaque la paume de mon autre main contre mon œil pour le colmater.

Une nouvelle larme s'écrase sur le miroir, mais cette fois-ci de mon autre œil. Je sursaute.

Je porte instinctivement mon autre main à mon œil et je laisse tomber le miroir sur le sol.

Il se brise avec fracas, répandant son contenu sur mes pieds. Je tremble.

Aussitôt, Kaiser aboie. Le bruit l'effraie et il aboie à plusieurs reprises.

Je ne contrôle plus mes mains. Mes paumes se pressent contre mes tempes. Les larmes ne s'arrêtent pas. Elles continuent de couler.

Mes mains agrippent la télévision. Je me retiens. Ma tête tourne. Je serre la plastique du plasma entre mes doigts. Je serre fort.

Je tire la télévision vers l'avant. Elle s'écrase et l'écran se fracasse devant moi. Kaiser aboie plus fort, et s'engage dans le couloir qui mène à l'étage. Je l'entends grimper quelques marches. Il aboie de nouveau, plusieurs fois de suite.

J'entends Arthur se lever. Son pas est rapide et lourd. Il court. Il dévale l'escalier. Il débouche dans la cuisine. Le chien le guide. Kaiser entre en premier dans le salon et il aboie encore. Arthur le suit.

Arthur me voit.

Mes doigts sont humides. De la poudre les macule. Je lève mes yeux vers lui, et lui se contente de rester immobile. Il me regarde aussi et repousse Kaiser de sa jambe. Le chien aboie encore et s'éloigne dans la cuisine.

Arthur s'approche de moi. Il fait quelques pas. Je recule aussitôt et je colle mon dos contre la porte du balcon. Je l'entends dire :

« Holden ? »

Sa voix est pleine d'interrogations, mais elle me paraît lointaine. Chaque pas le rapproche un peu plus de moi. J’attrape la poignée de la porte. Il fait un autre pas. Je me tourne vers la porte du balcon et je l'ouvre en grand.

Je l'entends courir derrière moi. Sa main se plaque contre la porte et il la referme brusquement. Je sursaute. Je reste immobile, le corps tremblant. Sa main entoure ma taille fermement. Il s'approche de moi et me serre contre lui.

Dans un spasme je relâche la poignée de la porte comme si elle était chauffée à blanc. Il me serre de toutes ses forces contre lui et m'embrasse les cheveux. Il ne parle pas. Il n'ose rien dire.

Je continue à trembler contre lui mais rapidement je me calme. Je me retourne dans son étreinte et j'enlace sa taille. Je noue mes bras dans son dos. Je colle mon front contre son épaule et je ferme les yeux. Je dis :

« C'est pas grave pour la télévision. »

Il tourne sa tête vers le centre de la pièce. Il regarde le miroir brisé par terre et la télévision renversée. Il me répond :

« Non, ce n'est rien. »

Sa voix est calme. Il n'est pas en colère.

Il redresse ma tête et m'embrasse le front. Il ajoute :

« Remonte te coucher. Je m'occupe de ramasser. »

Je ne me risque pas à répondre. J'obéis et je contourne le miroir brisé. Je passe par la cuisine. Kaiser me suit quelques instants et retourne dans le salon avec son maître. J'engage le couloir, je tourne au coude et je remonte l'escalier. Je suis l'autre couloir et j'entre dans la chambre. Je ferme la porte derrière moi.

Je colle mon dos contre la porte et je ferme les yeux un long moment. Lorsque je les ouvre, je sors de la chambre en vitesse et je me dirige vers la salle de bain la plus proche. J'ouvre en grand la porte et elle claque contre le mur. Je me jette sur la toilette et je vomis. Je tousse fort et je ferme les yeux. Ma gorge me brûle. Je finis par me lever après quelques minutes. Mes tremblements finissent par s'estomper au bout de trois ou quatre secondes et je me tourne vers l'évier pour me rafraichir le visage et le cou. Je lève la tête vers le miroir devant moi. Mes yeux sont rouges et mouillés. Mes joues aussi. Je referme la porte de la salle de bain et je retourne dans la chambre.

Je referme la porte derrière moi, je fais quelques pas vers le lit et je m'effondre. Le sommeil me capte aussitôt et je m'endors.

En bas, j'entends le bruit du verre qu'on balaie. J'entends le bruit des griffes de Kaiser qui marche sur le bois. Parfois il monte quelques marches de l'escalier mais jamais il ne vient en haut.

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